1986.
Douarnenez devient la mecque du patrimoine maritime 400 bateaux de la tradition
rassemblés dans le port du Rosmeur. 2.500 marins venus de toute l'Europe
Bleue. Et pour célébrer cette grande fête maritime, véritable
événement culturel une déferlante de 100.000 personnes lancée
à l'assaut de la vieille cité sardinière. «Douarnenez
86» dans une somptueuse succession de régates, d'expositions, de
films et concerts, dans le chaud mélange de bouffes amicales et de musiques
de rue, dans la joie de partager et déguster un morceau de vie ensemble,
a bousculé les habitudes. Elle a tracé le sillage, tiré un
trait entre hier et demain. Tout
a commencé à Pors-Beach.
En 1980 puis en 1982 et 1984. Jakez Kerhoas devenu depuis l'associé
d' Anne Burlat dans la société «Grand Large» et son
pote, son complice Gilbert Le Moigne, professeur d'anglais à Landerneau
en ont gardé une telle nostalgie que les 8 et 9 juillet 2000 la fête
ressuscitera : «Pas un projet mégalo, mais une flottille de 120 à
150 bateaux, une buvette de 70 mètres de long et un grand kig ha farz de
1.200 rations... ». Le père fondateur a déjà en
tête sa liste d'invités du troisième millénaire : le
«Mutin» dundee thonier de la Marine Nationale; la gabare «Notre-Dame
du Rumengol»; le jekt (caboteur) norvégien «Anna Af Sand»
propriété du musée de Stavanger qui fut financé par
Elf Aquitaine à l'époque des plates-formes de Frigg; le «Providend»
Brixham trawler (chalutier) du patron Nick Walker, un fidèle de Pors-Beach
et de Douarnenez, les gigs des îles Scilly... Flash
back sur Douarnenez 1986 La
superbe revue d'ethnologie maritime «Le Chasse-Marée» fête
ses cinq ans. Jakez Kerhoas, depuis 1982, a noué des relations étroites
avec Bernard et Michèle Cadoret, Michel Colleu et Michel Bescond. Le
Groupe Finistérien de Croisière qu'il skippe fait désormais
naviguer deux voiliers traditionnels : le cotre pilote «Solweig»
acheté au Dahouet et le vieux pilote de Dieppe «Ariane» qui
reposait sur la vasière de Landévennec. Pors-Beach 84 va démontrer
à l'envi que la si jolie crique se révèle bien trop petite
pour accueillir une fête majeure réclamée et désormais
voulue par tous les défenseurs du patrimoine maritime à travers
l'Europe. Naturellement les regards s'orientent alors vers le port de Cornouaille.L'association
«Treizour» qui regroupe des fanas de la tradition autour de Jean-Pierre
Philippe y a déjà jeté les bases du Musée du bateau,
et depuis 1980, la Fédération Régionale pour la Culture Maritime
a ouvert les Ateliers de l'Enfer au Port-Rhu afin de former des charpentiers de
marine issus de tout l'hexagone. Assurément Douarnenez est devenu
le nouveau cur de la belle renaissance. Le
port ouvre ses portes L'esprit
de «DZ 86» souffle un jour sur la crêperie de l'Enfer à
Tréboul. Là, est prise la décision de faire au Rosmeur une
fête authentique, sans frime, majestueuse. Jakez Kerhoas rend visite
au maire Michel Mazéas qui se dit immédiatement emballé et
lui conseille de voir comment associer à l'événement «cette
Bretagne de la côte qui gagne sa vie en mer» comme l'a écrit
Bernard Cadoret l'auteur de la fameuse série des «Ar Vag».
Les anciens patrons pêcheurs Edouard Ansquer et Yves Kernaléguen
ouvriront les portes du port à cette fête des marins. Il ne
reste plus alors qu'à lever une armée de 1.500 bénévoles...
Nuits
magiques Et
au collaborateur du «Chasse-Marée», l'écrivain Jean-Pierre
Abraham qui a déjà légué à la postérité
«Le vent», «Ar Men» et «Le Guet» de confier
au vent et à la mer ses «Notes de fête». Quelques
jours avant le 15 août la goélette noire et blanche «Undine»
de Joachim Kaiser a doublé le cap de La Chèvre, poussée par
une jolie brise de noroît. Le Rosmeur peu à peu se noie dans
le bonheur. Envahi par une foule bigarrée et joyeuse, il va vivre au rythme
des arrivées. Au «Madcap», cotre pilote de Bristol construit
à Cardiff en 1875 qui recevra à l'issue des fêtes le prix
du plus beau bateau du siècle dernier, succède la barge à
trois mâts «Rara Avis». Baptisée en fanfare, la yole
de Bantry «Fraternité» fait l'orgueil de son équipage
brestois. Sur scène, Stan Hugill le vieux shantyman, le dernier matelot
à avoir mené des chants de travail sur les longs courriers anglais,
fait un véritable tabac. Sa voix rocailleuse saisit les grappes humaines
de frissons. Sur les quais, la fête a immédiatement pris corps
dès le jeudi soir, lors du repas des équipages qui s'est prolongé
jusqu'au cur de la nuit aux terrasses des bars. Le Rosmeur grouillant de
vie chavire de joie. Ses nuits blanches sont magiques comme le tube de l'été
que vient d'enregistrer Catherine Lara. La foule massée sur le môle
s'enflamme pour une régate voile-avirons entre un coble de l'Essex, une
pinassote d'Arcachon, un camin du Havre... Succès
populaire total La
salle des maquettes ne désemplit pas. Jamais une exposition de peintures
marines n'avait vu une telle affluence. Au cinémaritime «L'homme
d'Aran» sera projeté quatre fois... La fanfare «A bout d'souffle»
fait éclater la vie. «Désormais c'est clair, le bateau
traditionnel n'est plus réservé à quelques initiés»
commentera J-P Abraham. Le
silence de l'émotion L'illusion
aura été pleine pendant ces trois jours. Le port de Douarnenez aura
fait un spectaculaire retour en arrière. Les images fortes resteront gravées
dans les mémoires. Entre deux bouffées de musique est née
une indescriptible émotion, presque trop forte. Le silence étreint
les gorges devant la beauté de ces centaines de voiles pointées
vers le ciel du large qui rappellent le quotidien des pères. Quand
sa flottille appareille vers l'anse du Guet pour déployer sur la baie son
présent, «Douarnenez 86» entre dans la légende maritime.
L'audacieux pari d'une bande de fous de mer est largement gagné.
Dès le dimanche soir, Bernard Cadoret, Jakez Kerhoas et leurs amis imaginaient
«Dou-arnenez 88». Deux ans plus tard, 300.000 aficionados allaient
plonger le Rosmeur dans un nouveau bain de chaleur conviviale.
Noël Pochet
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© Le Telegramme 19/06/2001 |